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Guérir de la folie nucléaire,

Posted by Abolition, 5th Jan 2007 | Category: Opinion
Authors :
Henry A. Kissinger, président de la société de consultants Kissinger Associates, secrétaire d'Etat américain de 1973 à 1977 ;
Sam Nunn, ancien président de la commission du Sénat américain chargée des services armés ;
William J. Perry, secrétaire à la défense de 1994 à 1997 ;
George P. Schultz, membre de l'Institut Hoover, secrétaire d'Etat américain de 1982 à 1989.

L’arme nucléaire représente aujourd'hui une menace considérable, mais offre aussi une chance historique. Il revient à la puissance américaine de faire entrer le monde dans une nouvelle ère : celle d'un consensus solide en faveur de la fin du recours mondial à l'arme nucléaire qui permette d'éviter sa prolifération aux mains d'acteurs potentiellement dangereux, pour qu'au bout du compte le nucléaire cesse d'être une menace pour la planète.

Pendant la guerre froide, l'arme atomique était essentielle au maintien de la sécurité internationale en raison de son rôle dissuasif. Mais la fin de ce conflit a rendu obsolète la doctrine de la dissuasion mutuelle entre les Etats-Unis et l'Union soviétique. Certes, la dissuasion reste une considération d'actualité pour nombre d'Etats menacés par d'autres. Mais le recours à l'arme nucléaire présente des risques toujours plus grands pour une efficacité de plus en plus aléatoire.

Les essais nucléaires réalisés par la Corée du Nord et le refus de l'Iran de mettre fin à son programme d'enrichissement d'uranium - à des fins potentiellement militaires - montrent que le monde s'achemine vers une nouvelle ère nucléaire porteuse de grands dangers. Plus alarmante encore, l'hypothèse de voir des terroristes indépendants des Etats mettre la main sur des armes nucléaires est de moins en moins invraisemblable. Dans la guerre contre l'ordre mondial que mènent aujourd'hui des terroristes, l'armement nucléaire apparaît en effet comme l'instrument le plus apte à causer des dévastations massives. Or les groupes terroristes indépendants des Etats échappent par leur nature même aux stratégies de dissuasion et représentent des menaces d'un nouveau genre pour la sécurité.
Cette menace terroriste mise à part, les Etats-Unis se verront bientôt contraints, à moins de prendre rapidement de nouvelles mesures, d'entrer dans une nouvelle ère nucléaire plus instable, psychologiquement plus difficile et au coût économique plus élevé encore que ne l'était la dissuasion de la guerre froide. (...) Les Etats récemment dotés de l'arme atomique n'ont pas derrière eux l'expérience apportée pendant les longues années de guerre froide par la mise en oeuvre progressive de garde-fous destinés à éviter les accidents, erreurs et lancements illicites d'armes nucléaires. (...)

Si Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev n'ont pas réussi, au sommet de Reykjavik, en 1986, à se mettre d'accord pour éradiquer l'arme nucléaire, ils sont néanmoins parvenus à infléchir la course à l'armement en ce sens grâce à des mesures menant à une réduction significative de l'arsenal nucléaire à longue et moyenne portée. Que faudra-t-il pour raviver la volonté commune de ces deux chefs d'Etat ? Est-il possible d'établir un consensus mondial autour d'une série de dispositions concrètes pour réduire de façon significative la menace nucléaire ? Il est urgent de se pencher sur le défi que posent ces deux interrogations.

Le traité de non-prolifération (TNP) prévoyait la disparition de toutes les armes nucléaires. Ce texte de 1968 stipule que les Etats ne disposant pas de l'arme nucléaire en 1967 s'engagent à ne pas s'en doter, et que les Etats dotés d'armes nucléaires s'engagent à se défaire de cet armement au fil du temps. Depuis Richard Nixon, tous les présidents américains, démocrates comme républicains, ont réaffirmé leur engagement à respecter les dispositions du traité, mais les Etats non dotés de l'arme nucléaire doutent de plus en plus de la sincérité des puissances nucléaires.

D'importants efforts sont faits actuellement en faveur de la non-prolifération. Le programme Cooperative Threat Reduction mis en place en 1992, la Global Threat Reduction Initiative lancée par les Etats-Unis en 2004, la Proliferation Security Initiative lancée par les Etats-Unis en 2003, ainsi que le protocole additionnel du TNP, sont autant de démarches novatrices fournissant de nouveaux outils essentiels à la détection de toute activité en violation du traité et menaçant la sécurité mondiale. Ces démarches doivent être intégralement mises en oeuvre. Les pourparlers sur la prolifération de l'arme nucléaire en Corée du Nord et en Iran, auxquels participent tous les membres permanents du Conseil de sécurité ainsi que l'Allemagne et le Japon, sont d'une importance vitale : ils doivent être conduits avec détermination. reposant de ces dispositions n'est à la mesure du danger. Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev avaient un objectif bien plus ambitieux lors de leur réunion à Reykjavik il y a vingt ans : l'élimination pure et simple de l'arme nucléaire. Cette ambition avait suscité une grande vague d'espoir auprès des populations du monde entier : les dirigeants des deux pays dotés des plus gros arsenaux nucléaires envisageaient l'interdiction du plus puissant de leurs armements. Reste que, en elles-mêmes, aucune de ces dispositions n'est à la mesure du danger.

Que faire aujourd'hui pour concrétiser la promesse énoncée par le TNP ? Nous estimons que les Etats-Unis doivent lancer une grande action sur des étapes concrètes à franchir.

L'absolue priorité est de travailler de façon intensive avec les dirigeants des pays dotés de l'arme nucléaire pour que l'objectif de désarmement nucléaire mondial devienne une ambition commune. En modifiant l'état d'esprit des pays possédant l'arme nucléaire, cette vaste collaboration donnerait davantage de poids aux actions en cours visant à éviter l'acquisition d'un arsenal nucléaire par la Corée du Nord et l'Iran.

Le programme sur lequel il faudra s'accorder doit comprendre une série de mesures communes à prendre de toute urgence pour préparer la disparition mondiale de la menace nucléaire, parmi lesquelles :

- infléchir la position de la guerre froide sur le déploiement d'armes nucléaires afin d'allonger les préavis de lancement et ainsi réduire les risques de lancement accidentel ou non autorisé d'engins atomiques ;

- poursuivre la réduction substantielle des arsenaux nucléaires de tous les Etats qui en sont dotés ;

- éradiquer les missiles nucléaires à courte portée conçus pour un déploiement avancé ;

- lancer au Sénat des Etats-Unis une procédure bipartite, avec notamment des arrangements visant à instaurer la confiance et à fournir un examen régulier de la situation, pour que soit ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (que les Etats-Unis ont signé, mais pas ratifié), ce que justifient les derniers progrès techniques, et oeuvrer en faveur de sa ratification par les autres grands Etats ;

- mettre en place des normes de sécurité des plus draconiennes pour tous les stocks d'armes, plutonium à usage militaire et d'uranium hautement enrichi à travers le monde ;

- instaurer une surveillance des activités d'enrichissement d'uranium et obtenir la garantie que l'uranium civil reste disponible à un coût raisonnable, de la part tout d'abord du Groupe des fournisseurs nucléaires (Nuclear Suppliers Group), puis de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ou d'autres réserves contrôlées par les instances internationales. Il faudra par ailleurs se pencher sur la question de la prolifération des déchets nucléaires produits par les réacteurs des centrales électriques ;

- mettre un terme à la production de matériau nucléaire à des fins militaires dans le monde entier ; faire disparaître progressivement l'uranium hautement enrichi des échanges civils, retirer l'uranium utilisable à des fins militaires de tous les centres de recherche de la planète et rendre ces matériaux inoffensifs ;

- redoubler d'efforts pour résoudre les tensions et conflits régionaux susceptibles de donner naissance à de nouvelles puissances nucléaires.

Pour faire disparaître l'arme nucléaire de la planète, il faudra également prendre des mesures efficaces afin de prévenir et de contrer toute activité liée au nucléaire représentant une menace potentielle pour la sécurité d'un Etat ou d'un peuple quel qu'il soit. Réaffirmer leur ambition de voir le monde débarrassé de l'arme nucléaire et prendre des mesures concrètes en ce sens apparaîtrait, de la part des Etats-Unis, comme une initiative forte s'inscrivant dans le droit-fil de leur héritage moral. Mais, sans une ambition déterminée, l'action risque d'être vue comme inéquitable ou facultative. Et sans action, l'ambition risque d'être jugée irréaliste ou infaisable.

Nous partageons l'ambition de voir le monde débarrassé de l'arme nucléaire et nous engageons à travailler avec diligence aux actions nécessaires à la réalisation de cette ambition, à commencer par les mesures susmentionnées.

Traduit de l'anglais par Julie Marcot.